Genèse...

 

Anecdotes d'écriture et de lecteurs

Je ne me souviens pas des circonstances dans lesquelles j'ai commencé à écrire Lame, le premier livre de la série. Je croyais au début que ce serait Sutherland qui sortirait Lame de sa triste situation de secrétaire des enfers mous, mais le personnage de Vaste, qui effectivement la sauve de là, est trop violent et antipathique pour être un avatar de Taïm Sutherland. J'ai publié Lame sans savoir qu'il y aurait une suite ; j'étais un peu ennuyée de ne pas avoir pu y caser Sutherland.

Des années plus tôt, j'avais écrit une nouvelle, « Devenir vivante » (reprise dans le recueil Le Piège à souvenirs), où il y avait un personnage appelé Rel. On m'a demandé en entrevue s'il y avait un lien entre ce Rel et le personnage présenté dans Lame ; j'ai répondu qu'ils se ressemblaient à mes yeux, mais qu'il n'y avait pas d'autre lien. Cependant, cette question me faisait réfléchir.

Après la parution de Lame au début de 1995, Jean Pettigrew a décidé de fonder les éditions Alire. Je voulais être de l'aventure. Nous avons donc décidé que je ferais une série de Chroniques infernales, utilisant le décor et les personnages mis en place dans Lame. Sans son intérêt, les Chroniques... n'auraient peut-être jamais été écrites... et j'ai fait le lien entre les deux Rel dans Secrets.

Au printemps 1995, il était temps de déterminer les grandes lignes du scénario. J'étais déterminée à raccorder les enfers à Vrénalik et à réintroduire pleinement le personnage de Sutherland. Cependant, Sutherland et sa possible nostalgie du monde de sa vie précédente étaient un prétexte trop mince pour justifier que Vrénalik prenne sa place par rapport aux enfers.

J'ai alors réalisé que la personnalité de Rel goûtait la même chose que celle de Haztlén, le dieu de l'océan dont il est question dans les livres sur Vrénalik. Que l'océan et le roi des enfers soient perçus comme une seule et même personne, voilà qui doit rejoindre certaines mythologies anciennes. C'est dire que Poséïdon et Hadès sont interchangeables, ce que j'ai déjà lu quelque part. Dès lors, cette intuition pourrait se développer dans plusieurs directions.

Peu de temps après, les circonstances de ma vie se sont mises à changer. Notre fille, devenue adulte, a quitté la maison. Et notre fils est devenu schizophrène à vingt ans, à l'automne 1995. Sa maladie a accompagné la rédaction d'Aboli, d'Ouverture, de Secrets. À la parution d'Aboli, il était suicidaire et il m'a conté avoir jeté sa copie du livre du haut d'un escalier du métro au lieu de se jeter lui-même en bas. La copie, qu'il récupéra quelques moments plus tard, était un peu abîmée par sa chute. J'ai dit à Olivier que je lui donnerais toutes les copies qu'il voudrait ! Notre relation à sa maladie avait son aspect humoristique.

Il lisait chaque livre à sa parution, avec l'attention étrange dont il était capable, ayant du mal à saisir l'ensemble, mais comprenant parfaitement certains détails, anodins pour d'autres lecteurs. Par exemple, il avait remarqué que la scène du carrosse, dans Lame, est un clin d'oeil à Madame Bovary ; ou encore, voyant le personnage de Fax attiré par la couleur verte, dans Aboli, il avait deviné que Fax était en fait Taïm Sutherland. Il est mort en juin 1998. La tendance suicidaire due à la maladie a pris le dessus et il s'est jeté du haut du Pont de la Concorde ­ quelle ironie dans ce nom ! Ce jour-là, je faisais une pause dans la rédaction d'Or, dont le manuscrit était déjà avancé. Or lui est dédié : le livre a pour titre ses initiales, Olivier Rochon.
Quand il avait huit ou neuf ans, il m'avait laissé entendre qu'il ne vivrait pas longtemps. En ce sens, sa mort ne m'a pas vraiment surpris. Sa naissance fut un plaisir ; l'élever fut agréable ; je suis contente de l'avoir connu. Il continue ailleurs ce qu'il a à faire.

Dans le registre des lecteurs privilégiés, j'aimerais aussi mentionner une jeune demoiselle qui refuse que je la nomme et qui quêtait près de chez nous, ces années-là. Orpheline, son chèque de BS ne suffisait pas à la faire vivre ; elle passait ses journées à une école pour décrocheurs. Elle m'a dit un soir qu'elle éprouvait beaucoup de difficulté à lire le français et que le seul livre qu'elle était parvenue à lire, en y mettant six mois, étaient les Histoires Extraordinaires, de Poe. Elle avait adoré. Sur-le-champ, je lui ai offert un de mes livres. Finalement, elle les a à peu près tous lus, enthousiaste de savoir qui les avait écrits. Maintenant, elle est sur le marché du travail ; elle a conservé son magnifique sourire.

Un de mes amis lisait Lame à l'hôpital, où son père agonisait ; un autre me lisait alors qu'il était en train de se séparer de sa femme ; on m'a lue dans des circonstances difficiles. Le genre de sujet des Chroniques... peut servir à cela.


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