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SFFQ : Aquin - Bastien
Laurence, un roman d'Yves E. Arnau (1991)
Un jeune
étudiant visite un appartement dans un immeuble habité
majoritairement par des locataires âgés qui lui
semblent un peu bizarres. Le concierge, un dénommé
Herman Polansky, est encore plus inquiétant mais Francis
se laisse séduire par l'appartement, d'autant plus que
le loyer est très abordable. Laurence, une jeune femme
dont il est tombé amoureux à l'université,
vient bientôt demeurer avec lui. C'est alors que les incidents
étranges se multiplient dans l'immeuble. Une nuit, le
jeune locataire du 3B se jette par la fenêtre. Peu après,
Laurence apprend la mort de sa meilleure amie, Élisabeth,
et ne semble pas capable de se remettre de cette perte. Un mal
mystérieux mine ses forces vitales mais elle semble prendre
du mieux en compagnie d'Edna Goldwin, la locataire du 1A, qui
lui prodigue des conseils.
Francis a cependant toutes les raisons de croire que l'immeuble
qu'il habite est le repaire de suppôts de Satan et que
Laurence est destinée à devenir la Servante dévouée
du Diable. Une nuit, il surprend dans la cour intérieure
de l'immeuble le concierge et quatre locataires en train d'invoquer
le nom de leur Maître au cours d'une cérémonie
qui doit consacrer son union avec Laurence. Incapable de sortir
par la porte et voulant à tout prix sauver la jeune femme,
Francis saute par la fenêtre de l'appartement et se réveille
quelques jours plus tard à l'hôpital, immobilisé
par de multiples fractures. Il apprend par la suite que Laurence
est morte dans un accident de voiture en allant rendre visite
à sa mère le jour même où est survenue
sa chute.
Ne sachant plus s'il est victime d'une machination qui vise à
l'éliminer ou s'il n'est pas tout simplement en train
de perdre la raison, Francis retourne à son appartement.
D'autres événements confirment ses soupçons.
Il décide alors de mettre le feu à la bâtisse
pour délivrer l'âme de Laurence prisonnière
des serviteurs terrestres de Satan et précipiter ceux-ci
dans les flammes éternelles où se consumait leur
Maître.
Yves E. Arnau a écrit plusieurs scénarios pour
la série télévisée «Edgar Allan,détective».
Littérature policière, littérature fantastique,
Arnau aime puiser dans la grande tradition littéraire
afin de nourrir son imaginaire. C'est un écrivain-caméléon,
donc un écrivain humble qui n'a pas l'ambition de changer
le monde. Laurencea pour pères spirituels Edgar
Allen Poe, E.T.A. Hoffmann et Guy de Maupassant.
Si ce roman, qui a été réédité
en 1991, est fantastique, tel n'était pas le cas dans
sa première édition parue en 1989. C'est la raison
pour laquelle nous ne l'avons pas commenté dans L'ASFFQ
à ce moment-là. Il y a d'ailleurs une anecdote
amusante au sujet de ce livre qui mérite d'être
racontée pour la petite histoire littéraire. En
novembre 1990, je rencontre Yves E. Arnau au Salon du livre de
Montréal et lui mentionne que son roman a failli être
recensé dans L'ASFFQ 1989. Je lui explique qu'en
raison de l'épilogue, Laurence ne pouvait être
considéré comme une oeuvre fantastique. Il m'annonce
tout de go que le roman doit être réédité
en format poche et qu'il enlèvera cet épilogue,
ce qu'il n'avait pas fait malgré les conseils de son éditeur
Robert Soulières lors de la première édition.
Étonnant, n'est-ce pas ? C'est, à ma connaissance,
la première fois qu'un roman, d'une édition à
l'autre, change de statut générique parce que l'auteur
supprime quelques pages.
Si j'insiste tant sur cette anecdote, c'est que Laurence constitue
un exemple parfait pour illustrer la politique éditoriale
de L'ASFFQ. Pour nous, n'appartient pas au genre fantastique
un récit qui se présente explicitement comme une
simple fiction, désamorçant ainsi les effets qu'il
a patiemment mis en place. Entreprise paradoxale que celle d'Arnau
qui, dans la première version, tout en connaissant les
règles et les codes de la littérature fantastique,
s'appliquait à les rendre inopérants au nom de
la modernité du texte.
La mise en abyme de l'épilogue remettait en question le
statut du roman d'Yves E. Arnau. En effet, dans cet épilogue,
le lecteur apprend que le récit qu'il vient de lire est
le dernier manuscrit de Francis Leclerc. Celui-ci a tout simplement
imaginé une histoire fantastique pour traduire certains
sentiments à une certaine époque de sa vie. «J'ai
laissé s'épancher la mauvaise impression que j'avais
conservée, de nos trois années passées dans
cet horrible immeuble : je me suis vengé ! (...) cette
piaule, c'était l'Enfer.» Ordinairement, le procédé
de mise en abyme, utilisé régulièrement
en littérature fantastique, sert à renforcer la
«fantasticité» du texte. C'est le contraire
qui se produisait dans la version initiale.
Sans doute les récits fantastiques des grands maîtres
sont-ils inspirés pareillement d'expériences personnelles
et de sentiments profonds que l'écriture traduit métaphoriquement
en forçant la réalité. La différence,
c'est qu'ils ne livrent pas leurs clefs dans le texte même
comme le faisait ingénument Yves E. Arnau. À mon
avis, l'épilogue minait l'impact du récit. Le côté
inquiétant du texte était ainsi complètement
désamorcé au profit d'une réflexion sur
les mécanismes de la fiction. Comment fonctionne-t-elle
? Dequoi se nourrit-elle ? Yves E. Arnau agissait comme un magicien
qui nous envoûte pendant son spectacle avec ses tours de
prestidigitation et qui, à la fin, nous explique comment
il s'y est pris pour nous mystifier ! David Copperfield s'en
garde bien !
La décision de l'auteur de retrancher l'épilogue
est heureuse, d'autant plus qu'on sent qu'Arnau a fréquenté
les grands maîtres du fantastique traditionnel et a bien
assimilé les lois du genre et les éléments
de la parapsychologie moderne contenus dans des livres comme
celui du docteur Raymond Moody, Lumières nouvelles
sur la vie après la vie. Il réussit à
créer une atmosphère angoissante en présentant
des personnages fortement typés comme le concierge, Mme
Goldwin et Walter Scott. Évidemment, avec le recul, on
comprend mieux la signification des clins d'oeil qui parsèment
le texte. On découvre que cela fait partie de l'entreprise
ludique de l'auteur qui s'apparente à un pastiche respectueux.
Ainsi, le nom du concierge évoque le cinéaste polonais
Roman Polanski qui a réalisé le Bébé
de Rosemary et le Locataire, deux films dont le climat
rappelle beaucoup le roman d'Arnau. Du premier, il a emprunté
le caractère inquiétant du couple qui habite l'appartement
voisin de Rosemary tandis qu'il a retenu du second l'obsession
maladive qui détruit l'équilibre mental du locataire.
L'auteur met aussi à profit l'imaginaire propre aux récits
de possession, de culte satanique et de réincarnation.
Laurence se déploie dans la plus pure traditiondes
récits fantastiques. Arnau se montre habile conteur, capable
de créer un climat oppressant en quelques paragraphes.
Il maîtrise bien l'écriture, celle-ci s'attachant
à décrire efficacement les divers états
par lesquels passe le personnage principal. Elle n'est pas exempte
cependant d'une certaine affectation - en cela aussi, elle rejoint
ses modèles en privilégiant l'emploi systématique
du passé simple - et de quelques tics dont le plus agaçant
est certes cette manie de mettre partout des points virgules
dans le milieu d'une phrase devant un participe présent
: «Je me livrai à des recherches fébriles;
me gavant de tous les manuels de parapsychologie et de démonologie
disponibles.»
Quant aux personnages, le plus développé est celui
du narrateur. Francis Leclerc nous est présenté
comme un jeune homme sain, équilibré et rationnel.
L'auteur dépeint avec habileté le cheminement du
doute dans son esprit et l'angoisse qui l'étreint quand
il découvre la réalité qui se cache sous
les apparences. Le personnage de Laurence est plus flou et beaucoup
moins élaboré. À part son apparence physique,
on sait peu de choses sur elle. Son utilité première
étant d'être destinée au Maître des
ténèbres, l'auteur n'a pas jugé nécessaire
d'étoffer outre mesure ce personnage. Les complices de
Satan sur terre sont décrits avec beaucoup de vigueur.
Si Rose Gallieni et Léopold Verne demeurent effacés,
Herman Polansky, Walter Scott et Edna Goldwin composent un fameux
trio infernal.
Laurence ne possède pas la richesse symbolique
d'une oeuvre inépuisable comme les Enfants du sabbat
d'Anne Hébert mais le roman d'Arnau se laisse lire avec
plaisir pour peu qu'on veuille bien retrouver la disposition
d'esprit qu'on avait à la lecture de nos premiers contes
fantastiques français et anglo-saxons du XIXe siècle.
Claude Janelle
Légende
du père Laurent Caron, une
nouvelle de Philippe-Joseph Aubert de Gaspé (père)
(1866)
Le père Caron raconte une histoire qui s'est passée
du temps où l'Anglais n'avait pas encore mis le pied au
pays... Un soir, un jeune Huron frappe à la porte du curé
de l'Islet. Il est porteur d'un message de Joseph Marie Aubé,
mort après trois jours de fièvre. Dans son délire,
l'homme disait craindre un ours qui en voulait à son âme.
Seule une médaille de la Vierge, donnée par sa
mère, réussissait à le tenir à distance.
Mais Aubé tient surtout à ce que le curé
sache qu'il s'est réconcilié avec Dieu avant de
mourir.
Un an plus tard, le curé de l'Islet reçoit une
lettre de France d'un collègue. Un possédé,
qui avait retrouvé son calme trois jours durant, avait
été repris par le démon et, lors de l'exorcisme,
le suppôt de Satan avait affirmé qu'il avait été
au Canada pendant ce temps afin de ravir, mais sans succès,
l'âme d'un certain Aubé...
Les Mémoires de Philippe Aubert de Gaspé
rassemblent plusieurs anecdotes que l'auteur affirme avoir oubliées
de mentionner dans les Anciens Canadiens. Celle qui est
racontée par le père Laurent Caron met en évidence
des figures typiques du Régime français : le fier
sauvage, la sainte mère et le mauvais fils, le curé
hardi et son bedeau nettement plus couard. Sans aller jusqu'à
reprendre intégralement la langue du conteur, Aubert de
Gaspé donne à son écriture les couleurs
du terroir en y incorporant plusieurs termes du cru. Habilement,
et non sans qu'on y sente la nostalgie du « bon vieux temps
», le texte transmet aussi l'impression de bonne coexistence
qui régnait au début du XVIIIe siècle entre
les Premières Nations et les Canadiens avant l'arrivée
des Anglais.
Le volet fantastique de cette légende est tout aussi intéressant
puisqu'à une première partie traditionnelle et
bien « canadienne » - un avatar de Satan tentant
en vain de s'emparer de l'âme d'un pécheur - s'ajoute
une deuxième partie « exotique » qui crée
un bel effet de surprise en toute fin de lecture : le démon
qui surveillait Aubé venait en droite ligne de la mère
patrie ! Doit-on voir dans ces accointances un signe de nostalgie
chez nos ancêtres, ou plutôt un secret espoir que
le lien rompu ne le soit pas tout à fait ? Chose certaine,
la Légende du père Laurent Caron demeure,
encore de nos jours, d'agréable lecture grâce à
l'excellente adaptation d'Aubert de Gaspé.
Jean Pettigrew
Mon voyage à
la Lune, une nouvelle de Napoléon
Aubin (1839)
Le narrateur raconte son voyage à la lune après
avoir expliqué comment il a fait le trajet, monté
sur son cheval Griffon. En compagnie d'une guide autochtone,
Bavardine, il observe les murs des habitants de la Lune, leur
mode de vie et leur organisation sociale.
Mon voyage à la lune de Napoléon Aubin
est le premier texte de SF dans l'histoire littéraire
du Québec. Si ce texte appartient à ce genre, ce
n'est pas en raison de son caractère scientifique mais
plutôt parce qu'il introduit la distanciation propre au
genre en mettant en scène l'autre. Le procédé
qui permet au narrateur de se rendre sur la Lune est en effet
tout à fait farfelu : il fait ingurgiter à son
cheval un mélange de gaz hilarant et de gaz hydrogène.
Le texte d'Aubin puise son inspiration dans la tradition européenne
de Cyrano de Bergerac, de Voltaire et de Swift. Il ne faut pas
oublier que l'auteur est né en Suisse romande. Il utilise
dans son récit une forme très libre qui est un
mélange de satire sociale et de journal intime.
Aubin est un féroce pamphlétaire qui exerce son
ironie sur les moeurs sociales de son époque. Il décoche
quelques flèches bien senties aux médecins (à
la façon de Molière), aux riches parvenus et aux
administrateurs de la justice. Aubin a le sens de la formule
lapidaire : « Nous n'avons pas qu'une justice ; nos tribunaux
en rendent deux : la justice des riches et la justice des pauvres.
Ainsi nous pouvons dire qu'il y a de la justice pour tout le
monde, avec cette seule différence que celle des riches
est la bonne et ne coûte rien tandis que celle des pauvres
n'est que de mauvaise qualité et coûte fort cher.
C'est dans l'ordre : les riches ont toujours raison ; les pauvres
ont toujours tort ; les premiers ont raison d'être riches,
et les autres ont tort d'être pauvres. On donne aux riches
l'autorité de la raison ; mais on vend aux pauvres la
raison de l'autorité. »
Mon voyage à la lune tient lieu aussi de journal
intime dans lequel Aubin règle ses comptes avec les autorités
judiciaires de l'époque qui tentent de museler la liberté
d'expression. Au début de chaque épisode, on peut
lire une chronique de ses démêlés avec la
justice. Le Fantasque, son journal, cessera d'ailleurs
de paraître après le sixième épisode
de son conte philosophique.
La satire d'Aubin met en place une structure narrative que les
auteurs de la première moitié du XXe siècle
utiliseront dans leurs utopies. Le narrateur est pris en charge
par un guide qui lui fait découvrir la société
nouvelle. Ce procédé donne un récit très
statique d'où toute action est absente. Sous prétexte
de décrire les moeurs des habitants de la Lune, Aubin
raille ainsi les comportements humains de ses contemporains.
L'auteur n'épargne certes personne mais sa dénonciation
a souvent des relents de misogynie, du moins aux yeux du lecteur
d'aujourd'hui.
Le texte d'Aubin démontre qu'il était plus qu'un
écrivain : c'était aussi un libre penseur comme
le siècle des Lumières en a donné plusieurs
en France.
Claude Janelle
L'Assembleur, un roman d'Aude (1985)
Il s'appelle Jean-François.
Il a sept ans, son corps dix-sept. Voilà dix ans qu'un
enfant blessé par le départ de son père
murit son projet. Il n'a pas pardonné. Il lui faut tuer
son père, sinon il aura toujours sept ans. Dès
le premier jour, il a senti un processus s'enclencher en lui.
Il abrite l'Assembleur, insensible et glacé. Jean-François
étudie l'informatique au cégep. Patiemment, il
a monté un programme qui accomplira sa vengeance. Et celle
de sa mère. Ils pourront suivre le déroulement
des opérations sur l'écran cathodique. Car l'exécution
sera longue. Il faut que le père de Jean-François
sache.
Ce qui précède n'est pas à proprement
parler un résumé du roman mais plutôt un
condensé du prologue, là où l'auteure pose
avec force les bases du drame qui va se jouer devant nous. Je
dis avec force car Aude, alias Claudette Charbonneau-Tissot,
écrit avec une lame de rasoir. Les phrases sont courtes,
incisives, percutantes. Pas un mot n'est superflu; nous sommes
à l'opposé de l'écriture mélodramatique.
Les paragraphes sont courts, bien séparés. Là
encore, la volonté de concision et de force apparaît
pleinement. L'auteure groupe, associe, met en évidence,
impose son rythme au lecteur. Les images saisissantes se suivent
à un rythme effréné, se bousculent, nous
bousculent.
L'Assembleur, récit d'une famille éclatée,
présente les points de vue de la mère, du père,
de l'enfant. Tour à tour victime, puis bourreau, chacun
expose son point de vue sur la situation désastreuse et
les torts subis. À tous moments, le lecteur se rappelle
le petit texte placé en exergue qui éclaire de
sa lumière humaniste le roman, «Mon père
disait: Il n'y a pas d'êtres méchants, il n'y
a que des êtres souffrants.»
Le plan du roman est simple: Jean-François explique son
projet dans un premier temps, Alexandre le père commence
à subir le supplice programmé dans la deuxième
partie, Érika la mère expose ses griefs tout en
endossant la vengeance de son fils, Alexandre revient, plus critique
envers lui-même, subissant toujours la vengeance, Érika
entre à nouveau en scène, plus vindicative que
jamais, et enfin Jean-François réapparaît
dans la dernière partie - qui ne contient que deux phrases
- pour annoncer sa victoire.
L'idée d'une vengeance par ordinateur fait tout de suite
penser à la SF, mais c'est plutôt au fantastique
que se rattache l'Assembleur puisqu'à aucun moment
une tentative d'explication n'est apportée. Comment l'Assembleur
s'y prend pour créer cette suite de fantasmes dans l'esprit
de son père n'est d'ailleurs - et heureusement - pas le
plus grand des soucis de l'auteure, qui aurait tout aussi bien
pu remplacer l'électronique par le vaudou ou tout autre
élément donnant un semblant de véracité
à la situation.
Roman fantastique, donc, l'Assembleur, de par le traitement
original, dur et explosif d'un thème trop souvent mal
exploité, est une belle réussite. Grâce à
la maîtrise parfaite de son écriture, Aude réussit
à entraîner le lecteur dans une réflexion
incisive sur l'éprouvante réalité des familles
éclatées, sur le mal irrémédiable
que se sont fait - souvent sans le vouloir, sous les pressions
d'une société impersonnelle, immature - des êtres
qui se sont aimés et qui s'aiment encore.
Le gouffre entre l'amour et la haine est sans fond. Mais il est
si étroit qu'un tout petit saut...
Jean Pettigrew
L'Homme à
éclipses, une nouvelle de Noël
Audet (1987)
Dans une taverne, un homme explique au narrateur que si la
perfection n'existe pas en ce bas monde, c'est qu'elle s'en échappe
dès sa création. Ainsi, il aurait vu disparaître
une de ses sculptures après une dernière modification
à une courbure, un texte après la dernière
retouche. Tout en devisant, les deux hommes se mettent à
faire d'étranges dessins sur la table jusqu'à ce
que cette dernière disparaisse, prouvant ainsi la théorie
de l'homme qui veut maintenant rejoindre lui-même le pays
des choses parfaites.
Excellente nouvelle pour un numéro spécial sur
l'Utopie. Avec une verve qui ne se dément jamais et un
humour tour à tour sarcastique, noir et parfois même
vitriolique, l'auteur se sert de la traditionnelle construction
d'une nouvelle à idée pour démontrer son
théorème: l'utopie, l'âge d'or, la perfection
ne pourront jamais être atteints sur Terre, et c'est tant
mieux.
Bien écrite, donc, rigoureuse dans sa démarche,
l'histoire de Audet se permet même un clin d'oeil final
au lecteur quand elle mentionne que son auteur n'a pas encore
réussi à la faire disparaître de notre monde,
donc que...
Mais, plus qu'une simple démonstration, plus qu'un simple
amusement, la nouvelle de Audet nous amène à une
autre réflexion, plus littéraire celle-là,
à savoir: peut-il vraiment exister des écrits parfaits
face à la multiplicité des lecteurs? Voila une
interrogation intéressante pour un auteur. Et encore plus
pour un critique, puisque ce dernier se doit de rendre compte
à d'autres, servant donc d'intermédiaire entre
le lecteur potentiel et le texte. Mais un intermédiaire,
n'est-ce pas ici un filtre, ou plutôt un prisme? Ce qui
voudrait dire que la principale qualité d'un critique
littéraire ne serait pas son objectivité - puisqu'elle
ne peut à toute fin pratique exister! - ni sa plus ou
moins grande sévérité, mais bien sa régularité,
sa constance? En effet, vous dirait un spécialiste de
l'optique, comment se fier à un prisme si un jour il privilégie
le rouge aux dépens du bleu, le lendemain le vert aux
dépens du jaune ?
Mais je ne veux pas aller plus loin sur ce thème, ce serait
manquer à mes constances! Lisez donc l'Homme à
éclipses de Noël Audet. Pour ce que j'en pense
et dis, vous pourrez vérifier votre position par rapport
à mes propres goûts. Et pour ceux qui n'ont rien
compris à ce qui précède: oui, j'ai bien
aimé ce texte!
Jean Pettigrew
Le Fleuriste, une nouvelle de Robert Baillie (1988)
Roch, 15 ans, voulait être coiffeur comme son père,
mais il développe une grave allergie à tout ce
qui rappelle les cheveux de Rose sa mère. Il déniche
un emploi dans un abattoir clandestin, ce qui aggrave sa maladie.
Grâce à un régime alimentaire composé
de feuilles et de tiges, il est subitement guéri. Il devient
fleuriste et se nourrit uniquement de plantes jusqu'au jour où
il s'empoisonne volontairement avec l'une d'elles. Rose boira
ses restes sous forme de tisane.
Un texte fascinant qui met en opposition le monde animal et
végétal. Une des richesses de cette nouvelle se
trouve dans le pouvoir évocateur des descriptions. Robert
Baillie, en effet, connaît bien sa flore laurentienne,
et son érudition ferait plaisir au frère Marie-Victorin.
Par contre, les amateurs de sensations fortes et d'actions rocambolesques
risquent d'être déçus.
La force du récit, c'est le dynamisme interne de l'écriture
accentué par des jeux de répétitions qui
tissent des liens entre les paragraphes. Le texte n'est pourtant
pas construit d'un seul bloc. Il se divise en deux parties que
j'appellerais: le récit-père et le récit-mère.
Dans la première partie, Roch se découvre une allergie
à ce qui représente la masculinité et l'animalité
(poils, cheveux, fourrure) représentées par son
père. C'est peu à peu qu'il découvre le
remède de cette maladie et il se met à consommer
des plantes (symbole nettement plus féminin) qui le guériront.
Ensuite, il assume pleinement son besoin de féminité
et de végétaux en devenant fleuriste. Notons qu'il
donne à sa boutique, où il vit en permanence, le
nom de sa mère. Il «habite» donc à
nouveau celle-ci. Ce processus d'assimilation de la féminité
par le biais des fleurs le mènera à la mort. Roch
retournera littéralement à sa mère à
la fin du récit, puisqu'elle le boira avant d'en mourir.
On assiste là à une forme de cannibalisme incestueux
qui n'a d'autre conclusion que l'annihilation de ceux qui la
pratiquent.
À ce niveau, une lecture psychanalytique de la nouvelle
le Fleuriste pourrait procurer beaucoup de plaisir à
certains lecteurs. Par les réseaux symboliques qu'elle
exploite à profusion, on pourrait dire qu'elle revêt
un caractère quasi mythique.
Michel Pleau
Une âme
attachante, une nouvelle de Truong
Bao-Song (1991)
Vingt-six ans après avoir fui Hanoï, monsieur
Sangre vient visiter sa ville natale où il a connu son
seul véritable amour. Il cherche à savoir ce qu'est
devenue My Lan. Il apprend du frère de sa bien-aimée
que celle-ci est morte il y a dix-huit ans mais que son fantôme
lui apparaît régulièrement. Invité
à passer la nuit dans la chambre de la morte, monsieur
Sang revoit sa chère My Lan et... leur fils.
Charmante histoire romantique et désuète que
ce récit d'un amour contrarié qui persiste au-delà
du temps. La pureté et la naïveté des sentiments
rappellent les contes fantastiques québécois du
XIXe siècle, mais la nouvelle de Bao-Song s'en distingue
sur un point essentiel. Cette différence fondamentale
est attribuable à la culture dont est issu l'auteur d'Une
âme attachante. Contrairement à nos contes surnaturels,
aucune morale religieuse ne transpire de cette nouvelle. Tout
au plus peut-on y déceler une croyance en la réincarnation
qui est bien plus une philosophie de vie qu'une doctrine religieuse.
Dans Une âme attachante, le destin individuel des
personnages est marqué par le poids des traditions séculaires
(My Lan doit épouser le mari que lui a choisi son frère
aîné) et par l'histoire politique d'un pays déchiré
par la guerre. Le narrateur, M. Sang, doit en effet se réfugier
au Sud pour fuir la répression du régime communiste
et s'éloigner ainsi de l'amour de sa vie. Cette trame
de fond confère au récit un caractère tragique
que les seules conventions sociales n'auraient peut-être
pas suffi à imposer.
L'intérêt de cette nouvelle est cependant amoindri
par la confusion qui règne dans la chronologie des événements
et par les problèmes qu'éprouve l'auteur avec le
temps des verbes. D'abord, Bao-Song mentionne que M. Sang a quitté
Hanoï en 1952 (p. 25) ; ensuite, il parle de son évacuation
de Hanoï en 1947 (p. 31). En fait, ce départ ne serait-il
pas survenu encore plus tôt puisque le narrateur ignore
tout de l'existence de My Lan après son mariage (en 1941
ou 1942) alors même qu'il demeure dans la même ville?
Pas très clair, tout cela !
Quant au problème d'écriture, il est peut-être
attribuable au fait que le français n'est sûrement
pas la langue maternelle de l'auteur. Quoi qu'il en soit, il
confond l'imparfait et le passé simple. Souvent, dans
une même phrase, le premier verbe est à l'imparfait
et les deux autres, au passé simple.
Il faut tout de même saluer l'initiative de PAJE éditeur
qui a rassemblé dans ce collectif intitulé Québec
kaléidoscope des écrivains de diverses communautés
culturelles. En dépit de ses défauts, la nouvelle
de Bao-Song nous fait accéder à une autre culture
et ouvre de nouveaux horizons à la littérature
québécoise qui ne peut que s'enrichir au contact
des immigrants.
Claude Janelle
Tous des imbéciles, une nouvelle de François Barcelo (1984)
Un mal étrange, le sic (syndrome d'insuffisance cérébrale),
décime la population à travers le monde. On croit
savoir que cette maladie tue les gens par ordre décroissant
d'intelligence. Un professeur d'université attend impatiemment
l'apparition des premiers symptômes sur sa personne qui
confirmeraient qu'il fait partie des gens plus intelligents que
la moyenne. Pour éviter l'humiliation, il est prêt
à monter une supercherie.
Voilà une petite satire sociale amusante dans laquelle
l'auteur s'en prend à plusieurs classes sociales, mais
particulièrement aux professeurs d'université.
Barcelo s'est inspiré de la tache de vin (le symptôme
qui annonce la maladie et la fin rapide du sujet), qui constitue
la marque distinctive de Gorbatchev, et du sida pour inventer
une maladie qui s'attaque d'abord aux personnes les plus intelligentes.
Il y a quelque chose d'absurde dans le désir du personnage
principal d'être victime du sic. Pourtant, ne vaut-il pas
mieux être d'une intelligence moyenne et vivant que supérieurement
intelligent et mort? C'est bien l'orgueil et la vanité
des humains que l'auteur épingle ici avec un sourire moqueur
au coin des lèvres. Car, à part une blague qui
pourrait être tirée d'une anthologie de «jokes
de newfies», il n'y a pas de quoi rire aux éclats.
N'oublions pas que le collectif dans lequel cette nouvelle a
été publiée en 1984 avait pour thème
l'humour. Admirons en passant l'humilité de l'auteur qui
n'a pas hésité à utiliser le je comme pour
s'identifier à son personnage principal. C'est ce qui
a toujours fait le charme de François Barcelo, ce refus
de se prendre au sérieux.
En ces temps où l'on valorise à outrance l'excellence,
Tous des imbéciles rame à contre-courant
en faisant le constat suivant: le monde ne va pas plus mal même
s'il a perdu ses meilleurs cerveaux. Tous les besogneux, les
bûcheux, les cols bleus de l'intelligence se sentiront
vengés ou dédouanés par le texte de Barcelo.
Claude Janelle
Aaa, Aâh,
Ha ou les amours malaisées,
un roman de François Barcelo (1986)
Il existe sur la
planète Coquecigrue trois mondes complètement isolés
les uns des autres et qui ont pour noms Aaa, Aâh et Ha.
En Aaa, le continent le plus vaste de Coquecigrue, vit un peuple
dont les habitants ont comme caractéristique première
d'être tous des spécimens uniques tant est infinie
leur diversité. En revanche, la nature est uniforme et
ne compte qu'une espèce de poisson, d'oiseau, d'insecte,
de mammifère, de batracien, d'arbre et de fleur. Les gens
de Aaa vivent dans des grottes, au bord de la rivière
Nitchénicouane, et leur existence se déroule paisiblement.
Leur société comporte un minimum de règles
sociales qui n'ont rien de contraignant. L'oisiveté et
les jeux de l'amour constituent les principales activités
de ce peuple hétéromorphe qui compte dans ses rangs
un sage à sa façon, un digne émule du philosophe
Socrate, le vieil Anatolanskov. Celui-ci, du haut de sa montagne,
observe ses contemporains et guette la très hypothétique
arrivée d'étrangers qui pourraient venir par le
ciel ou par la mer. Un disciple, Bessaguérini, vient bientôt
le rejoindre et tous deux, dans leur immobilité, finissent
par prendre racine alors qu'ils assistent, en spectateurs impuissants,
à l'extinction de leur race à la suite d'une épidémie
foudroyante.
En Aâh règne le roi Celsius 1er sur tous ses sujets,
pauvres et misérables. Le royaume est petit et ne suffit
pas à nourrir le peuple. Celsius 1er n'en a cure, lui
qui mange à sa faim. La reine Magina, la seule femme autorisée
à se promener les seins nus, sa poitrine royale ayant
valeur de symbole, gracie un jour un prisonnier pour qui elle
éprouve une attirance irrésistible. Afin d'éloigner
son époux, elle le convainc de faire construire un grand
navire dont il prendrait le commandement afin de partir à
la découverte d'une terre plus accueillante et hospitalière.
Ayant refusé de s'embarquer au moment du départ
de la première expédition, le roi doit cependant
respecter sa promesse quand une nouvelle expédition rapporte
l'existence d'une race étrangère sur un autre continent.
Son mari étant écarté, le reine se met à
la recherche de Fatimus et apprend qu'il s'est engagé
comme voyeur sur le navire de Celsius 1er. La reine affrète
alors un navire et se lance aux trousses de la flotte du roi.
Elle rejoint finalement son amant et s'enfuit avec lui sur le
continent maintenant inhabité de Aaa où elle peut
donner libre cours à sa passion amoureuse.
Enfin, le monde de Ha est une société moderne qui,
par crainte d'être attaquée par des étrangers
qui n'existent peut-être même pas, s'est dotée
d'un système de défense très sophistiqué.Pour
assurer l'infaillibilité de ce système, le gouvernement
a dû proclamer l'extermination de tous les oiseaux car
ils risquaient de confondre les radars haois. Une petite fille,
Catherine, s'entête à vouloir faire voler son coq
Oscar et sa poule Félicia. Elle y réussit finalement
et déclenche par le fait même le système
de défense du pays. Au même moment, le voilier de
Celsius 1er se pointe à l'horizon. Une faille dans le
microprocesseur d'une ogive entraîne la destruction de
Ha.
S'il n'existe pas dans la littérature québécoise
une tradition d'humour, il reste qu'il y a des écrivains
qui sont d'abord et avant tout des humoristes. Je pense à
Jean-Marie Poupart, à François Hébert, à
Jean-Yves Dupuis, à François Gravel et, surtout,
à François Barcelo. Les quatre romans qu'il a publiés
sont marqués par cette constante: ils veulent faire rire
le lecteur en misant sur une imagination débridée,
sur un comique de situations et sur l'invention verbale. Aussi,
chaque fois que paraît un roman de François Barcelo,
on se demande s'il s'agit d'un roman de SF car le décor
n'est jamais une reproduction réaliste de la vie quotidienne.
L'auteur introduit de petits éléments fantastiques
sans conséquence véritable sur l'économie
du récit dans la Tribu et Ville-Dieu ou
des signes importants porteurs d'altérité dans
Agénor, Agénor, Agénor et Agénor
(en l'occurrence, un extraterrestre de Blanante).
Dans Aaa, Aâh, Ha ou les amours malaisées,
Barcelo nous force à considérer ce roman (ou cesromans
comme il est écrit sur la couverture) comme une oeuvre
de SF pour deux raisons. D'abord, la création de la planète
Coquecigrue, hautement farfelue et fantaisiste, ne contribue
pas moins à inscrire ce texte dans une perspective de
faiseurs d'univers. Mais c'est surtout la description
des habitants du monde d'Aaa qui pousse ce texte vers la SF.
Le peuple d'Aaa présente des caractéristiques qui
n'ont rien en commun avec les humains de notre espèce.
Ils incarnent véritablement l'altérité car
ils sont hétéromorphes. Voyons ce qu'en dit le
romancier: «À part l'oeil et l'absence de bouche,
ils ne se connaissaient aucun dénominateur commun. Il
y en avait des grands et des petits, des à plume, des
à fourrure, des à peau rugueuse et des à
peau douce. Des rampants, des marchants, des roulants»
(p. 75). La couleur, le nombre de bras, de jambes et de têtes,
la forme du corps et la disposition de leurs deux sexes font
que chaque individu est unique.
La diversité des gens d'Aaa semble répondre à
la vision pessimiste de l'avenir projetée par le Meilleur
des mondes de Huxley, par exemple, où le clonage peut
faire en sorte qu'il y ait 64 individus absolument identiques.
C'est que Huxley décrit une dystopie tandis que Barcelo,
dans le récit d'Aaa, présente une utopie. «Les
gens d'Aaa se trouvaient beaux les uns les autres, tous et chacun
d'entre eux. Et ce qu'ils trouvaient beau, c'était justement
ce qui distinguait les autres d'eux-mêmes. Cela constitue
un bien beau mystère» (p. 75).
Mais en même temps, on ne peut pas ignorer les intentions
de l'auteur qui ne prétend aucunement faire de la science-fiction:
«On les prendrait (les chapitres Aaa) pour de la science-fiction
s'ils n'étaient pas entièrement dépourvus
de science» (p. 14) explique-t-il dans les pages préliminaires.
Je ne crois pas que l'absence de science dans ce récit
suffise à l'exclure de la SF. Qu'y a-t-il de scientifique
dans Coquillage d'Esther Rochon? Certainement pas la description
du monstre-nautile et pourtant, personne ne conteste qu'il s'agit
là d'une oeuvre de SF.
On sent d'ailleurs dans le roman de Barcelo que celui-ci a réfléchi
sur la nature de la science-fiction à la suite de la tentative
d'appropriation dont son premier roman a fait l'objet dans le
milieu de la SFQ. Bessaguérini invente des récits
pour distraire son vieux maître Anatolanskov. L'un d'eux
est un récit qui, aux yeux du lecteur d'aujourd'hui, est
tout à fait réaliste mais qui, pour Anatolanskov,
est tout à fait irréaliste et incompréhensible
parce qu'il appartient à une autre culture. Le vieux demande
de quoi il s'agit. Bessaguérini répond: «Dela
science-fiction. C'est une nouvelle forme de récit qui
se passe en un lieu de mon invention, et là tout est différent
d'ici. Par exemple, il y a des endroits où on prête
de l'argent. Ce sont des banques» (p. 179).
Boutade ou non, Barcelo met à profit cette définition
et il invente des mots (miser, grenoux) pour désigner
des réalités (ici des animaux) qui n'existent pas
dans notre monde. Mais l'auteur invite aussi ses lecteurs à
utiliser leur imagination en se gardant «...d'interpréter
ces noms comme une représentation exacte de ce qu'ils
désignent normalement» (p. 11). On le voit, l'attitude
de Barcelo face à la SF semble plutôt ambivalente.
Tantôt il rejette l'étiquette, tantôt il s'en
réclame presque. Cette indécision n'est peut-être
au fond qu'une plaisanterie dont nous sommes, à des degrés
divers, les victimes inconscientes. Et puis, après tout,
le romancier a le droit de s'amuser lui aussi, qui nous en donne
pour notre argent dans son roman.
Il met en scène trois mondes différents, trois
systèmes politiques qui aboutissent au même résultat:
l'extinction totale et définitive qui répond plus
à la souveraine liberté du romancier qu'à
une quelconque ligne idéologique. Le monde d'Ha est une
reproduction à peu près sans retouches de notre
société militarisée et démocratique.
La justification du système de défense totale prôné
par le président Lebrun rejoint les arguments avancés
par les tenants de l'équilibre de la terreur: «Si
ces ennemis n'existent pas, nous ne pouvons faire de mal à
personne. S'ils existent, personne ne pourra nous faire mal.»
(p. 47).
Le monde d'Aâh met en scène une régime monarchique
qui repose sur la tyrannie et l'arbitraire. L'auteur nous introduit
dans l'univers du conte satirique dont on peut apprécier
le mordant en lisant les Lois pour la conservation des aliments
édictées par Celsius 1er. Le récit épouse
la forme de petits tableaux qui décrivent la manière
hautement capricieuse avec laquelle le roi mène les affaires
de l'État. Si le monde d'Ha sombre dans la paranoïa,
le monde d'Aâh, par l'intermédiaire de son roi,
est surtout animé par des instincts belliqueux et des
visées impérialistes.
Le monde d'Aaa se situe entre ces deux pôles extrêmes
en adoptant une attitude attentiste et ouverte. Rien d'étonnant
puisqu'il s'agit d'une société utopique. Son harmonie
et sa perfection ne lui assurent pourtant pas le bonheur éternel.
L'idée de mettre en opposition ces trois mondes procure
au roman une richesse indéniable. Encore une fois, François
Barcelo va à l'encontre des lois romanesques sans que
son récit en souffre. En effet, il n'y a pas de véritable
progression dramatique, il n'y a pas de personnage principal
qui lierait les uns aux autres ces trois récits parallèles.
Cette structure narrative force l'auteur à interrompre
pendant un long moment l'un ou l'autre récit. S'il ne
parvient pas à faire converger parfaitement ces trois
récits, du moins réussit-il à mettre un
point final en situant la planète Coquecigrue sur le plan
d'un micro-univers dontle romancier est l'unique maître.
Aaa, Aâh, Ha ou les amours malaisées est
un roman humoristique dont l'intérêt est soutenu
de bout en bout, exception faite de la mise en place du récit
(p. 15 à 22) qui est assez pénible et laborieuse.
C'est peut-être le roman le plus réussi à
ce jour de François Barcelo. Chose certaine, il nous fait
rire ou sourire continuellement car son sujet paraît inépuisable:
la bêtise humaine présente dans tout système
politique.
Claude Janelle
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