L'année
de l'éclipse fantastique ! Les apparences sont souvent
trompeuses. Plusieurs observateurs s'inquiétaient, ces
dernières années, de la diminution dramatique des
nouvelles de science-fiction et de la force d'attraction du fantastique
auprès des nouveaux auteurs. La production de l'année
2000 vient corriger les perceptions de tout un chacun. Le fantastique
accuse un recul spectaculaire tandis que la science-fiction effectue
une remontée significative à laquelle a contribué
la publication de deux collectifs, Transes lucides dirigé
par René Beaulieu et Guy Sirois, et Futurs sur mesure sous la responsabilité de Susanne Julien de l'Association
des écrivains québécois pour la jeunesse
(AEQJ).
En bout de ligne, pour la première fois depuis le milieu
des années 80, le nombre de nouvelles de SF est supérieur
au nombre de nouvelles fantastiques (38 contre 36). En 1999,
la moisson de nouvelles fantastiques s'élevait à
93, une production normale en regard des chiffres des années
antérieures. Quel recul, en effet ! On pourrait croire
que cette chute est attribuable à la disparition ou à
la rareté des fanzines spécialisés, mais
sous ce chapitre, les chiffres n'ont guère changé
par rapport à l'année précédente.
En 2000, les revues spécialisées ont publié
11 nouvelles de SF et 12 nouvelles fantastiques. La baisse se
fait plutôt sentir du côté des recueils et
anthologies où le fantastique ne compte que 19 textes
alors que là se trouvait traditionnellement son château
fort. C'est dire que les éditeurs de littérature
générale qui publiaient un bon nombre de nouvelles
fantastiques ont été plus sélectifs.
On l'aura déduit, le nombre total de nouvelles (74) publiées
en 2000 est le plus bas depuis longtemps, mais cette statistique
doit être nuancée par deux autres indicateurs :
le nombre de romans publiés et d'auteurs. La production
romanesque des deux dernières décennies est en
hausse constante. Les auteurs professionnels ou confirmés
délaissent la nouvelle pour le roman parce que les débouchés
sont là. L'année 2000 a produit 52 romans ou récits :
20 en science-fiction, 32 en fantastique (ce qui inclut 5 romans
de fantasy). Le nombre d'auteurs ayant publié au
moins un texte inédit en 2000 s'élève à
88, dont 34 en étaient à leur première publication
dans les genres qui nous intéressent. Ce nombre élevé
– malgré une baisse importante de textes – et
la proportion de nouveaux auteurs (38,6%) viennent pondérer
une statistique brute – la production de nouvelles –
qui aurait pu être alarmante considérée isolément.
Il faut bien se rendre à l'évidence : la visibilité
de la science-fiction et du fantastique passe de plus en plus
au Québec par le livre. Pour prendre leur place sur les
rayons des librairies, la SF et le fantastique doivent être
supportés par une production abondante. Mais doit-on publier
pour autant en moyenne un livre par semaine ? Certes, il
y a là un bon nombre de romans pour la jeunesse, mais
l'impression générale qui persiste, c'est que la
qualité est noyée dans un flot d'œuvres médiocres
ou banales. C'est le dilemme de la production actuelle et rien
ne laisse croire que la situation va changer à court terme.
C'est une fuite en avant qui ne peut être que néfaste
à long terme. Faudrait-il aller jusqu'à dire comme
le célèbre éditeur Jean-Jacques Pauvert :
« L'année où l'on n'a que des manuscrits
de mauvais romans, mieux vaut publier un bon recueil de mots
croisés. » ?
À l'heure de ce bilan annuel, j'éprouve toujours
un sentiment de profond désarroi devant cette masse de
textes – 52 romans, 74 nouvelles, je le rappelle –, mais
surtout devant le caractère éclectique de l'ensemble,
particulièrement cette année. Voilà au moins
un aspect positif à cette surproduction. On trouve de
tout dans cet arrivage : de la science-fiction parodique
(Lima Destroy & Robinette Spa de Mélika Abdelmoumen),
féministe (La Salle des conférences de Louky
Bersianik), écologique (Le Suicide de la Déesse de Simon Labelle), métaphorique (Rouge Malsain de Luc Lecompte), métaphysique (Marjorie Stonehenge de Patricia Posadas), du fantastique historique (les trois romans
pour jeunes d'André Noël), poétique (La
Voix de Pierre Chatillon), humoristique (Diane la foudre de Ghislain Taschereau), existentialiste (L'Atlas de l'au-delà de Richard Purdy), psychologique (Gare Belle-Étoile de Sylvie Grégoire), épique (L'Arbre-Roi de Gaëtan Picard) et coquin (les contes érotiques
de Renée Robitaille).
Ces noms sont sans doute peu connus ou carrément inconnus
des amateurs de SF et de fantastique. C'est normal : il
y a 34 auteurs qui font leurs débuts ici. La plupart des
auteurs qui comptent y sont aussi : Élisabeth Vonarburg,
Yves Meynard, Esther Rochon, Jean-Louis Trudel, Francine Pelletier,
Patrick Senécal... Bref, il y en a pour tous les goûts
dans cette production extrêmement variée qui réserve
son lot d'heureuses surprises comme ce recueil érudit
et ludique de Nicolas Dickner, L'Encyclopédie du petit
cercle. Certainement ma découverte de l'année.
Claude Janelle |
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