L'année
de l'olivier ! Arbre au tronc noueux, tourmenté et
crispé, à l'apparence tragique, l'olivier peut
aussi être généreux pour l'homme. Absent
du paysage québécois parce qu'il ne supporte pas
les températures froides, il a néanmoins marqué
symboliquement l'année 1999. Je vous explique.
Esther Rochon a remporté, pour sa production de cette
année-là, le Grand Prix de la science-fiction et
du fantastique québécois. Le roman qui lui a valu
ce prix pour la quatrième fois a pour titre Or,
le cinquième tome des Chroniques infernales amorcées
en 1995. Il faut savoir que le titre du roman correspond aux
initiales du fils de l'auteure, Olivier Rochon, que la schizophrénie
a conduit au suicide. Portée par la douleur, refusant
de baisser les bras devant la cruauté de cette disparition
brutale, Esther Rochon a terminé l'écriture d'Or comme on rend hommage à ceux qui nous inspirent.
L'année 1999 aura donc, à sa façon, consacré
la victoire de la vie sur la mort. Et c'est peut-être ce
message d'espoir, ce besoin de croire en quelque chose qui constitue
le thème prédominant de la production annuelle
car on assiste dans plusieurs romans, surtout en littérature
jeunesse, à une quête de spiritualité. Les
anges et autres créatures bienveillantes y sont légion.
L'avenir est cependant plus sombre pour la science-fiction dont
la production ne cesse de régresser depuis quelques années.
Les chiffres sont accablants, particulièrement dans le
domaine de la nouvelle. Il s'est publié, en 1999, seulement
24 nouvelles de science-fiction alors que le fantastique, avec
93 nouvelles, maintient sa position éditoriale et affiche
des statistiques qui se comparent à la moyenne des dix
dernières années. Il y a cependant matière
à consolation dans la production romanesque puisque 17
romans de science-fiction ont paru par rapport à 30 romans
fantastiques.
Toujours dominée par la littérature jeunesse (32
romans sur 47), cette production présente quelques romans
de SF pour adultes qui se distinguent par une approche littéraire
singulière : mentionnons L'Homme qui pesait plus
lourd nu qu'habillé de Jérôme Élie, Le Soleil de Pierre Gélinas, Les Enfants de
Schubert de Pierre K. Malouf, La Survie de Vincent Van
Gogh de Jean Pelchat et, surtout, Du virtuel à
la romance de Pierre Yergeau. Ces noms ne disent sans doute
rien aux amateurs de science-fiction québécoise
et j'entends déjà certains « observateurs
éclairés » du milieu de la SFQ traiter
ces auteurs de touristes. Mais sans leur contribution consciente
ou involontaire, où en serait la production de SF cette
année ? À part Esther Rochon et Jean-Louis
Trudel, qui peut se targuer de défendre les couleurs de
la SFQ ? Aucun texte inédit de Joël Champetier,
d'Alain Bergeron, de René Beaulieu, d'Yves Meynard et
d'Élisabeth Vonarburg, deux courtes nouvelles de Daniel
Sernine, un mini-roman jeunesse de Francine Pelletier... L'armada
est plutôt décimée…
La régression de la science-fiction est vérifiable
sur tous les fronts. Dans les recueils et anthologies, on compte
à peine 10 nouvelles de SF. Un seul recueil de nouvelles
de SF a été mis sur le marché en 1999 –
par un éditeur non spécialisé de surcroît,
Planète rebelle. Ovation d'Alix Renaud contient
trois textes, dont aucun inédit. Pendant ce temps, le
fantastique faisait le plein dans ces ouvrages avec 78 textes.
Ajoutons cependant un petit bémol à cette dernière
statistique : le recueil d'André Croteau, Légendes
le long du Saint-Laurent, fournit à lui seul 25 textes
brefs. Les revues spécialisées qui étaient
naguère le château fort de la science-fiction ont
publié 12 nouvelles, soit la moitié de la production,
tandis que le fantastique compte 10 nouvelles. La situation est
encore plus désespérante dans les revues littéraires
générales puisqu'on y trouve seulement sept textes
(deux en SF, cinq en fantastique). Faut-il y voir un des effets
pervers de la standardisation à outrance des produits
culturels constatée depuis quelques années ?
Sans doute. Mais au-delà des contraintes commerciales
et de l'uniformisation de la pensée artistique, il faut
bien se rendre à l'évidence : la science-fiction
québécoise vit une crise existentielle.
On pourrait avancer plusieurs hypothèses pour expliquer
cette stagnation de la SF qui n'est pas exclusive au Québec,
la situation étant la même partout dans le monde.
La proximité du nouveau millénaire, au lieu de
stimuler l'imagination des auteurs, aurait-elle inhibé
leur capacité créatrice ? La rapidité
des développements scientifiques en matière de
biologie, par exemple, aurait-elle rattrapé la faculté
d'anticipation des auteurs ? L'individualisme forcené
qui sévit dans les sociétés riches et technologiquement
avancées ne va-t-il pas à l'encontre des valeurs
humanistes telles que l'ouverture d'esprit et la générosité
qui animent les écrivains de SF, leur donnant par le fait
même l'impression de prêcher dans le désert ?
Il y a là de nombreux défis à relever qui,
pour le moment, les dépassent visiblement.
Tout n'est pas négatif dans ce bilan de l'année
1999. Ainsi, on peut se réjouir du fait que la science-fiction
et, surtout, le fantastique continuent d'attirer les nouveaux
écrivains. Parmi les 88 auteurs qui ont signé au
moins un texte inédit en 1999, il y en a 42 qui en sont
à leur première incursion dans l'un ou l'autre
genre. Combien donneront suite à cette première
publication ? Là est la question car il faut un large
bassin d'auteurs pour assurer une production régulière.
La révélation de l'année parmi ces recrues
est certainement Éric Gauthier, un jeune auteur qui a
publié deux nouvelles fantastiques qui lui ont valu trois
prix littéraires.
La diversité de l'offre a tout de même de quoi surprendre
car le nombre d'auteurs qui ont vu leur texte publié une
première fois, réédité ou traduit,
s'élève à 110, ce qui veut dire que 22 d'entre
eux n'ont publié aucun texte nouveau mais qu'ils figurent
dans la production à la faveur d'une réédition
ou d'une traduction. Que huit livres – dont sept romans de SF
– aient d'ailleurs connu une deuxième vie grâce
à une réédition ou une traduction signifie
qu'il y a dans ce corpus des œuvres qui ont franchi avec succès
l'épreuve du temps et sont devenues, à l'échelle
de la littérature québécoise et à
l'égal des œuvres du mainstream, des classiques
ou, à tout le moins, des valeurs sûres et reconnues.
Claude Janelle |
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