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L'ASFFQ 1998

 

L'année de tous les dangers ! L'expression pourra paraître trop alarmiste aux yeux de certains mais 1998 n'est certes pas l'année du soleil tranquille. Quels dangers ? N'y a-t-il pas de quoi s'inquiéter devant l'influence grandissante de l'esthétique télévisuelle et cinématographique sur l'écriture romanesque, particulièrement dans les romans pour jeunes, comme le déplorent plusieurs commentateurs dans les pages qui suivent ? Le roman n'est-il pas en train de perdre son âme et sa spécificité en cherchant à concurrencer le cinéma sur son propre terrain ? C'est là un des effets pervers de la campagne de séduction entreprise auprès des jeunes il y a une dizaine d'années, alors que les maisons d'édition ont ouvert leurs collections aux œuvres de science-fiction et fantastiques. Il est à se demander si elles contribuent ainsi à former des lecteurs qui continueront à fréquenter ces deux genres dans des collections pour adultes.
Un autre danger, tout aussi insidieux, guette la production : l'américanisation de la culture. Ce phénomène peut être considéré comme un corollaire de l'influence de la télévision puisque c'est dans ce média de masse que les auteurs puisent le plus souvent leurs références culturelles et leur « bagage » scientifique. On ne mesure pas toujours les effets subtils de cette américanisation car la mondialisation qui touche aussi les produits culturels expose quotidiennement la production québécoise au rouleau compresseur américain. À cet égard, la réédition de Nocturnes pour Jessie (devenu Les Chemins de Mirlande) de Denis Côté constitue un exemple éloquent de l'appauvrissement de nos référents culturels au cours des dix dernières années seulement. C'est triste à dire mais ce roman représente à mes yeux le symbole de la production de 1998 - sans dénier pour autant la pertinence de son propos et son efficacité dramatique et malgré le fait que d'autres œuvres maintiennent leurs exigences littéraires. Mais voilà ! La masse critique de ces romans pour jeunes prêts à tout pour plaire au lecteur est tout simplement trop grande pour qu'on l'ignore.
Il y a lieu aussi de déplorer la disparition de la revue imagine… au seuil de sa vingtième année d'existence. Certes, la revue éprouvait des problèmes de production depuis quelques années, la parution de ses livraisons étant devenue aléatoire. Cette disparition fait en sorte que le seul débouché pour les auteurs de nouvelles de science-fiction demeure la revue Solaris. Comme la production de nouvelles de SF avait connu une baisse importante ces dernières années, l'avenir ne s'annonce pas très encourageant. D'ailleurs, en 1998, la SF a encore perdu du terrain par rapport au fantastique. Sur un total de 135 nouvelles, on compte en effet 38 fictions de SF contre 97 nouvelles fantastiques, ce qui représente une baisse de 6% en un an (34% en 1997 – en tenant compte des textes compilés dans le Supplément 1997 – contre 28% en 1998). Jamais le ratio (28/72) n'aura autant favorisé le fantastique. Par contre, au chapitre des romans et des récits, les deux genres littéraires arrivent nez à nez avec une production de 19 livres chacun.
Si la production romanesque a connu une augmentation importante depuis le début des années 90, la production de nouvelles, pour sa part, apparaît assez stable comme si un mécanisme d'autorégulation intervenait instinctivement. C'est dans le ratio SF/fantastique que les variations sont les plus significatives quoique la prédominance du fantastique dans des lieux éditoriaux où il n'est pas nécessairement attendu – dans des recueils publiés chez des éditeurs de littérature générale (Vents d'Ouest, XYZ éditeur, Trois-Pistoles), dans des revues littéraires non spécialisées (Stop, XYZ, Les saisons littéraires) – se confirme d'année en année. Ainsi, en 1998, sur 76 nouvelles publiées dans des recueils ou anthologies, 57 relèvent du fantastique. Les publications non spécialisées ont accueilli 18 textes, soit 15 nouvelles fantastiques contre seulement trois nouvelles de SF. Ces chiffres nous amènent à constater l'habileté de la littérature fantastique à se présenter d'abord comme texte littéraire plutôt que comme texte fantastique, ce que la science-fiction ne réussit pas à faire même si ses praticiens se réclament eux aussi d'une grande tradition littéraire et en font la démonstration par la qualité de leurs œuvres.
La production originale de 1998 repose sur la contribution de 94 auteurs qui ont publié au moins un texte inédit. De ce nombre, 35 auteurs en étaient à leur première incursion en fantastique ou en science-fiction, ce qui illustre assez bien l'attrait que continuent d'exercer ces deux genres sur l'imaginaire des écrivains en devenir ou confirmés.
Au-delà – terme fort approprié quand on évoque le fantastique ! – des dangers mentionnés plus haut, il faut se réjouir de la grande variété des textes fantastiques qui incluent, pour les fins du profil statistique, une part non négligeable de textes de fantasy (quatre livres et près d'une vingtaine de nouvelles). Réalisme magique, fantastique humoristique, fantastique littéraire – dont le nouveau venu Bertrand Gervais exploite les possibilités dans son recueil Tessons –, fantastique traditionnel, merveilleux fantastique : toutes les figures de cas y sont représentées. Ce qui étonne et surprend agréablement, c'est le retour du fantastique traditionnel qui profite visiblement du nouvel engouement pour le conte et de la popularité des spectacles de conteurs. Il y a là un momentum intéressant créé par la convergence d'initiatives qui méritent d'être soulignées:  la publication d'un numéro spécial de Stop (154) consacré aux contes, d'un recueil de Cécile Gagnon à l'intention des enfants, Contes traditionnels du Québec, paru aux éditions Milan, et d'un livre de Victor-Lévy Beaulieu intitulé Les Contes québécois, du grand-père forgeron à son petit-fils Bouscotte dans lequel VLB soi-même reprend dans ses mots quelques classiques du répertoire national et invente quelques contes de son cru. Réappropriation du fantastique traditionnel donc, mais aussi modernisation comme l'illustre le très beau récit de l'universitaire Lise Gauvin, Chasse-galerie.
Cette ligne de force de la production de 1998 se vérifie d'ailleurs dans le tableau des rééditions. En publiant au cours de la saison estivale une série de textes du XIXe siècle – dont trois contes fantastiques –, Le Devoir a relayé cet intérêt pour le patrimoine littéraire québécois. Tout au cours de cette même année, un fanzine, Le Résurrectionniste, a réédité 23 textes fantastiques datant du XIXe siècle ou de la première moitié du XXe siècle, à la faveur d'un numéro par mois. On doit à Mario Rendace et à Thierry Vincent ce patient travail d'archéologue. Ajoutons qu'un recueil de Faucher de Saint-Maurice, À la brunante, a été publié chez BQ et que Stanké a réuni des contes de Louis Fréchette sous le titre Le Diable de Jos Violon et nous avons là une preuve incontestable que le fantastique traditionnel nous interpelle toujours comme lecteur et comme Québécois.

Claude Janelle

ASFFQ98

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