C’est un avantage indéniable de brosser un portrait de la production de l’année 1993 en science-fiction et en fantastique avec un recul de… vingt ans. On peut ainsi prédire quels sont les talents nouveaux qui émergeaient et ont réalisé leurs promesses comme on peut relever le nom de ceux – beaucoup plus nombreux – qui n’ont fait que passer, telle une étoile filante. Cela permet aussi de constater que le milieu a changé et que des lieux éditoriaux ont cessé d’exister (imagine…, les Publications Ianus, Samizdat, Temps Tôt).
La production originale de l’année 1993 compte 35 romans et 126 nouvelles, ce qui confirme une migration graduelle de la pratique de l’écriture, de la nouvelle vers le roman, mouvement qui s’accélérera à la fin des années 1990. Le fantastique domine toujours à la fois le roman et le genre bref. En effet, il s’est publié 19 romans fantastiques alors que 12 romans revendiquent l’étiquette science-fiction. Les quatre autres romans relèvent de la fantasy, genre jusqu’ici assimilé au fantastique dans nos statistiques en raison de son poids négligeable historiquement, mais que nous distinguons désormais pour tenir compte de sa timide émergence.
La popularité du fantastique chez les auteurs de nouvelles est à peu près la même puisqu’ils ont produit 75 textes fantastiques. La science-fiction est représentée par 48 nouvelles. Les deux genres font match nul (19 nouvelles de SF, 19 nouvelles fantastiques) dans les revues et fanzines spécialisés, chacun ayant ses accointances et ses lieux de prédilection. Comme par les années passées, c’est dans les publications non spécialisées que le fantastique distance la science-fiction en plaçant 25 nouvelles contre 9 pour cette dernière. L’écart est à peine moins marqué en faveur du fantastique dans les recueils et anthologies (31 nouvelles fantastiques / 20 nouvelles de SF). La nouvelle fantastique est aussi davantage rééditée que sa consœur dans une proportion de 70 % (63/27).
Les statistiques sont également éloquentes en ce qui concerne le nombre d’auteurs qui s’élève à 124. Cependant, dans ce contingent, 16 auteurs ne doivent leur présence qu’à la réédition ou à la traduction d’un de leurs textes, ce qui ramène à 108 le nombre d’auteurs ayant publié au moins un texte inédit. Parmi ceux-ci, 41 auteurs (à vrai dire 38, puisque deux d’entre eux – Richard Viens et Anne Richter – ont publié sous leur nom véritable avant d’utiliser un pseudonyme et que Laurent McAllister est le symbionyme de Jean-Louis Trudel et Yves Meynard) ont fait leur premier pas en science-fiction ou en fantastique. Ce pourcentage (35 %) est représentatif des dernières années.
Si la plupart des recrues en sont restées à ce coup d’essai unique – et il n’y a pas lieu de s’en surprendre –, quelques autres ont amorcé en 1993 une fructueuse carrière d’écrivain. C’est le cas en premier lieu de Sylvie Bérard, devenue depuis une des voix les plus originales de la science-fiction québécoise, qui publie sa première nouvelle, « Fœtalité ». On peut déjà déceler dans ce premier texte l’orientation que prendra son oeuvre à venir.
L’autre voix digne de mention est aussi celle d’une femme, Julie Martel, dont la production en littérature jeunesse est abondante et qui a fait son nid en fantasy. Ses deux nouvelles publiées en 1993 sont plutôt atypiques et ne laissent pas soupçonner son succès futur. Il faut toutefois préciser que Julie Martel n’avait que vingt ans à cette époque !
Le troisième nom qui retient l’attention dans cette cohorte de nouveaux auteurs est Cartier-Jones. Derrière ce pseudonyme se cache un auteur – peut-être bicéphale – qui, après son coup d’envoi intitulé « Citoyenne », publiera huit autres nouvelles égrenées jusqu’en 2000.
Trois autres noms sont aussi sortis de l’ombre depuis et se sont imposés, mais dans des domaines qui entretiennent peu ou prou de lien avec les littératures de l’imaginaire. Michel Brûlé est devenu un éditeur important dans l’industrie du livre québécois mais son roman fantastique Ail, Aie ! ne passera pas à la postérité à moins d’être récupéré comme œuvre psychotronique. Ook Chung entreprenait avec la nouvelle « La Prison de cristal » une œuvre singulière et estimée, récompensée par plusieurs prix, qui l’amène à explorer des univers troubles, des situations incongrues qui relèvent parfois du fantastique ou de la science-fiction. François Blais, depuis une œuvre de jeunesse intitulée « Le Pays des fées », a laissé mûrir un talent qui s’est exprimé avec force dans le genre réaliste lors de la publication de son premier roman en 2006 et dans ses œuvres subséquentes.
Claude Janelle |
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